Julie Eissen, « Toujours viser plus »

Interview Julie Eissen

Présidente du CN Noisy-le-Sec

A quelques heures de la première finale de championnat de France élite du CN Noisy-le-Sec, nous avons contacté la Présidente du club, Julie Eissen, afin qu’elle nous parle de cet évènement ainsi que du futur du club.

France Water-Polo : Cette qualification pour la finale du championnat de France est une grande première pour le CN Noisy-le-Sec. Comment l’avez vous vécue ?

Julie Eissen : Effectivement, c’est une grande grande première ! J’avoue que j’ai eu du mal à réaliser. Cela fait maintenant 6 ans que nous travaillons à la structuration du club. C’est un travail difficile pour une structure de notre taille. Il a fallu faire des choix pas toujours simples. Je suis quelqu’un de très engagée, je mets beaucoup d’énergie dans ce que je fais mais je n’aurais jamais imaginé qu’on en arrive là cette saison. C’est fou…

Ceci étant, cette qualification nous la devons à mon directeur sportif Jonathan MORIAME qui a vraiment réfléchi sur la structuration de l’effectif dans un souci de cohésion et m’a demandé énormément sur l’accompagnement des joueurs hors de l’eau. Je ne peux pas ignorer l’excellent travail de notre entraineur Stefan CIRIC, accompagné de son staff toujours hyper mobilisé. Je le vois bosser avec tous ces sportifs de talent et de très fort caractère. C’est une sacrée performance de mener ce groupe tout en y intégrant nos jeunes en accession car il a parfaitement compris la philosophie du club et le volet formation qui nous tient tant à cœur. Et puis, il y a cette équipe. Ils sont incroyables de performance et d’humanité… ils ont joué un water-polo magnifique dans ces playoffs avec une défense de fou et une abnégation pour le collectif. Je suis tellement heureuse pour eux.

Une qualification historique pour le CNN (Crédits Photo : WP Inside)

FWP : Vous allez rencontrer une équipe de Marseille qui n’a jamais été aussi forte et qui est même crainte en Europe. Comment abordez vous cette rencontre ?

JE : En premier lieu, je tiens à saluer le travail et les résultats de Marseille. Ils ont fait une saison magnifique. Nous sommes extrêmement heureux d’avoir une équipe en France qui performe à ce niveau. Cela tire tout le water-polo vers le haut et je suis enchantée de les voir jouer le Final 8 dans quelques jours. Je suis également enchantée de jouer contre eux cette finale car j’apprécie beaucoup Paul LECCIA et ses équipes. Maintenant, quand vous êtes face à une si belle équipe, vous n’avez rien à perdre. Nous abordons donc la rencontre sereinement et nous allons essayer de déployer un beau water-polo. Comme nous sommes ambitieux, nous avons comme objectif de gagner à domicile. Toujours viser plus !

FWP : Vous avez réalisé une excellente première partie de saison (8 victoires, 1 nul et 1 défaite) alors que la seconde a été un peu plus chaotique (4 victoires, 3 nuls et 3 défaites). Sur les playoffs, on a l’impression que vous avez redressé la tête. Comment expliquez vous cela et quelles sont vos chances d’être champion ?

JE : C’est une bonne question mais je ne suis pas coach et je me garde bien d’interférer dans ce volet. La trêve a été pour nous très dure cette année. Dure pour nos athlètes français du TQO qui sont revenus avec une immense déception suite à la non qualification de la France. Dure car nous avons eu très peur pour Mathieu PEISSON suite à son problème au cœur. Le groupe a été très affecté et je pense qu’il leur a fallu du temps pour se remobiliser. Mais, c’est bien ce qui fait la beauté du sport. La qualité de l’équipe sur le papier ne fait pas la qualité de l’équipe dans le jeu. Il y a cette dimension du collectif, du groupe qui va faire que vous allez transcender les individualités pour la cause commune. Cette dimension, ils l’ont retrouvée sur les playoffs pour le plus grand bonheur de tous.

FWP : Il y a une quinzaine d’années, le club de Noisy-le-Sec découvrait l’élite. La saison prochaine vous allez jouer la Ligue des Champions. Une belle progression, non ?

JE : Je vous avoue qu’elle va un peu vite parfois pour moi. Ce n’était pas nécessairement dans mon plan de développement 2021 qui était plus axé sur la structuration et la politique fédérale mais on ne va pas se plaindre, bien au contraire ! Cela nous donne un rayonnement beaucoup plus important sur l’Ile de France et la Seine-Saint-Denis. Nous allons donc prendre la balle au bond, avancer et poursuivre notre croissance. J’ai la chance d’avoir autour de moi des gens supers qui nous accompagnent et proposent de multiples projets, que ce soit le staff ou mes bénévoles. C’est une vraie richesse de partager tous ces moments.

FWP : D’ailleurs, doit-on vous appeler CN Noisy-le-Sec ou Cercle 93 ?

JE : Vraie bonne question (rires). Et bien, cela fait partie de l’évolution de notre structure. Pour être forts, nous devons être soudés et travailler ensemble. C’est l’ADN du CNN mais également celui du 93 avec mes partenaires du SDUS à Saint Denis et du CNLG à Livry-Gargan. Mettre nos moyens en commun pour développer nos projets et proposer à nos jeunes les meilleures conditions de formation. Alors, le CNN se transforme petit à petit et le très haut niveau, qu’il soit masculin ou féminin s’écrira CERCLE 93 car, nous avons également l’ambition de proposer une équipe Elite Féminine dans quelques temps. La formation tout comme l’apprentissage du savoir nager resteront ancrés sur le CNN. Mais le Cercle 93 a pour objectif de développer de nouvelles compétences sur un rayonnement départemental.

FWP : Quelles sont les perspectives d’évolution du club et sur quels axes comptez vous poursuivre votre développement ?

JE : Nous avons tellement de projets passionnants que c’est souvent frustrant de ne pas pouvoir m’y consacrer pleinement ! Et le temps associatif n’est pas celui du monde privé. J’apprends donc la patience… (rires)

En premier lieu, nous allons travailler sur le volet formation water-polo en structurant une école de U7 à U17 avec définition des acquis afin d’aider nos éducateurs sur le suivi et l’évolution des enfants. L’objectif est d’augmenter leur niveau de performance plus tôt et améliorer leur aisance aquatique. Nous allons intégrer l’apprentissage numérique dans la pratique du water-polo grâce au programme que nous avons élaboré avec le Département de la Seine Saint Denis (que je remercie encore au passage).

Nous allons poursuivre la structuration de la filière féminine qui a vu le jour il y a maintenant 4 ans via le Cercle 93. Nous allions engager cette saison 4 équipes féminines de U11 à U17 si n’avions pas eu ce contexte sanitaire. Nous avons beaucoup de jeunes filles talentueuses et pleines d’énergies qui se révèlent au travers de ce sport. C’est un réel plaisir de les voir s’émanciper et s’affirmer.

Les féminines, un projet important du Cercle 93 (Crédits Photo : Cercle 93)

Nous sommes en train de mettre en place un programme de formation pour nos jeunes entre 15 et 18 ans qui intègre BNSSA, brevets fédéraux, formation d’arbitre et permis de conduire, en parallèle de la section sportive au Lycée. Nous préparons un programme de découverte métiers avec nos partenaires afin de les aider à s’orienter dans leur cursus scolaire. Et pour ceux qui ne veulent pas faire d’études supérieures (nous avons un partenariat Haut Niveau avec l’université), nous les accompagnons dans une formation BPJEPS / DEJEPS.

Sur le plus long terme, faisant le constat que les joueurs professionnels en fin de carrière présentent de vraies difficultés de reconversion, nous aimerions créer une formation « joueur professionnel de water-polo » avec des équivalences qui leur permette préparer entre 19 et 21 ans un programme pédagogique spécifique. Le sujet n’est visiblement pas simple suite à nos échanges avec l’INFAN car ce n’est pas un métier reconnu et il nous faut réfléchir sous un autre angle. Mais, grâce mon président de Ligue Ile de France Lazreg BENELHADJ, qui est très concerné par la reconversion des sportifs FFN en règle général, un travail plus global doit être engagé avec la Région. Nous allons donc poursuivre la réflexion. J’aimerais, à terme, que ces joueurs qui décident d’embrasser une carrière de joueur professionnel puissent vivre leur passion sereinement sans se demander ce qu’ils vont devenir à 35 ans.

Sur le volet de l’apprentissage de la natation, qui pour nous est un sujet majeur en Seine Saine Denis, nous souhaitons améliorer l’organisation de nos écoles de natation ainsi que la qualité et la rapidité de l’apprentissage. Compte tenu des nouveaux équipements qui vont voir le jour, il y a un enjeu majeur à accompagner la mise en place de structures fédérales dans ces nouveaux équipements pour les faire vivre. C’est un travail que nous souhaitons mener avec le Comité Départemental 93 et mon autre président Didine BOUAICHE.

Enfin, en lien avec ces nouveaux équipements, nous commençons à réfléchir à structurer une offre de service associative pour la gestion des piscines dans une dynamique gagnant – gagnant pour les collectivités et associations. Cela permettrait de créer des emplois plus intéressants en combinant MNS et éducateurs en club, toujours dans une recherche de débouchés professionnels pour nos jeunes du département.

Et toujours, de façon transversale, une dynamique de travail ouverte avec les autres clubs qu’ils soient d’ile de France ou d’ailleurs pour mettre à disposition des entraineurs comme nous le faisons pour le Montmartre Natation ou encore pour organiser des tournois comme avec le club Laval Water-Polo pour les féminines.

FWP : Les JO de 2024 vont ils vous aider à grandir ?

JE : Les JO pour nous c’est un sujet du quotidien. C’est un sujet sportif car nous travaillons pour préparer des athlètes filles ou garçons afin qu’ils portent les couleurs de la France et de la Seine-Saint-Denis en 2024. Mais pas que… Les investissement nécessaires pour les JO se font majoritairement en Seine-Saint-Denis et cela arrive dans une temporalité inespérée par rapport au contexte global de la couronne parisienne. Il faut avoir en tête que ce département est le seul de la petite couronne qui a autant de potentiel de reconstruire la ville sur la ville et un tarif foncier encore accessible (bien que les prix augmentent chaque année). Le développement du métro périphérique va transformer les modalités de déplacement de la couronne parisienne et la piétonisation du centre de Paris annoncée pour 2022 ou 2023 va obliger le rééquilibrage des entreprises sur les territoires. Nous avons donc une réelle carte à joue car les besoins induits par les JO sont une sorte de catalyseur de la mutation urbaine. Pour revenir à des considérations plus sportives, nous allons accueillir sur Saint-Denis, le Centre Aquatique Olympique et la piscine de Marville avec un 33 intérieur et un 25 extérieur. Sur le territoire de Plaine Commune, nous allons avoir quatre autres piscines d’ici 2024 en complément. Sur Aulnay, le super complexe doit ouvrir en 2021 avec un 50 intérieur et un 25 extérieur. Sur Noisy le Sec, la nouvelle municipalité souhaite relancer un projet de piscine avec un 33 pour le water-polo. Nous aurons enfin des équipements qui vont nous permettre d’accueillir des compétitions nationales et internationales, sans compter l’accès à la pratique pour la population. Aujourd’hui, il n’y a qu’un bassin de 50 m à Montreuil pour un département de 1,7 millions d’habitants. Ça va être une révolution. Il faut avoir en tête que si la Région Ile de France a relocalisé son siège à Saint-Ouen dans le 93, ce n’est pas un hasard.

Le CNN après sa qualification pour la finale (Crédits photo : WP Inside)

FWP : Comme vous le savez, nous avons l’habitude de terminer nos interviews par la question « vachement con ». Être une femme dans ce milieu plutôt masculin… ce n’est pas trop difficile ?

JE : On me la pose souvent car visiblement cela pourrait être perturbant. Mais, je viens d’une filière scientifique, j’ai été la première femme ingénieur dans la société qui m’employait il y a 20 ans quand j’ai commencé à travailler dans le conseil et les travaux publics. Puis, la première femme adjointe d’agence, puis la première femme responsable d’agence. J’ai cassé les plafonds de verre. Là, je suis la seule femme présidente d’un club Elite Masculin (mais suis-je la première ?). Je passe mes journées avec des hommes depuis tellement d’années que je n’y fais même plus attention en fait. Ceci étant, dans ma société, nous sommes à 80 % des femmes… toutes armées d’un bon tempérament car il faut vous tenir tête Messieurs (rires)

Crédits Photo : Facebook Cercle 93
Actualités 19 mai 2021