Interview de Lucas Heurtier
Interview de Lucas Heurtier
réalisée par France Water-polo
Lucas Heurtier est très rapidement devenu un des cadres du staff des équipes de France. L’actuel entraineur de Mulhouse est également entraineur des équipes de France jeunes et assistant de Hrvoje Hrestak en équipe de France A.
Bonjour Lucas. Merci de nous accorder un peu de temps pour répondre à nos quelques questions. Peux-tu nous parler de ton passé poloistique (joueur, Entraineur…) ?
J’ai débuté le water-polo à 11 ans à Choisy le Roi où j’habitais. J’aimais la piscine mais pas la natation. Puis à 13ans j’ai déménagé à Grenoble avec mes parents. Je me suis inscrit au club Pont de Claix GUC WP. C’est là que j’ai beaucoup appris : l’amour de ce sport, l’esprit de compétition, les valeurs du water-polo et les liens forts qui existent entre les différentes générations. L’équipe senior évoluait en National 2 et malgré mon investissement et mon sérieux, j’étais un joueur moyen. C’est quand j’étais au lycée que j’ai commencé à m’intéresser à l’entrainement en arrivant plus tôt aux entrainements pour aider les entraineurs jeunes.
A 21ans j’ai passé mon BEESAN mais en tant que joueur moyen de N2, je n’y ai pas appris grand-chose. J’avais une soif d’apprendre. J’ai alors proposé mes services à Nice en échange d’être assistant de toutes les catégories. J’ai alors été auprès d’Elie Carreau, Vincent De Nardi et Julius Izdinsky, des U11 aux U17. L’année suivante j’ai pu être assistant de Marc Vidil avec l’équipe de Pro A. Puis je suis retourné 2 ans à Grenoble où un projet de fusion venait de naitre entre les 2 clubs de l’agglomération : Pont de Claix et Échirolles. Le projet ayant explosé tout juste 2ans après, Nice m’a recontacté pour m’occuper des U11 et U13, ce que j’ai fait pendant 4ans. A partir de mon année avec la Pro A de Nice, je suis allé une semaine à l’étranger chaque année pour apprendre, notamment à Novi Sad Vojvodina 5 fois (Serbie) et UVSE une fois (Hongrie). J’ai alors décidé de me lancer un an à Vojvodina avec qui j’avais d’excellente relation et à qui j’ai donc demandé de venir assisté gratuitement tous les entraineurs.
A la fin de l’année, Mulhouse m’a contacté et le potentiel du club m’a plu. J’ai alors choisi de me lancer dans cette aventure.
Comme tu viens de le dire, tu es parti un an à l’étranger (en Serbie) pour voir ce qui se fait de mieux dans le water-polo. Quelles ont été tes motivations ? Qu’y as-tu appris ? Est-ce que tu peux nous parler de cette expérience ?
Mes voyages à l’étranger ont toujours été pour apprendre dans l’entrainement. En France déjà, je me suis souvent posé des questions sur la manière d’entrainer et de faire travailler telle ou telle chose. Mais en voyant ce qui se fait en France, je n’avais pas toujours les réponses à mes interrogations : Quelles sont les bases à enseigner et comment ? Que travailler pour chaque catégorie et comment gérer les groupes ? Comment faire travailler le physique en fonction des générations ? Quand je voyais un exercice ou un mouvement dans un match, je me demandais toujours : Quels exercices chronologiques faut-il faire pour en arriver là ? Quels exercices faut-il faire après pour aller plus loin. Voilà les questions que je me posais et c’est avec cet état d’esprit que je suis allé en Serbie.
J’y ai trouvé des réponses et beaucoup de confirmations sur la manière dont je voyais les choses. Ce qui m’a le plus enrichi, c’est de voir comment ils font nager et travailler les jambes à tous les âges. Ils respectent vraiment ce qui est écrit dans les livres de physio et on sent que tous les entrainements sont construits et réfléchis sur le long terme. Chose que je n’ai pas l’impression de voir beaucoup en France. On a trop tendance à rester sur ce qu’on fait depuis toujours mais on n’arrive pas à s’adapter au haut niveau qui change tout le temps.
Après on pense souvent que les jeunes serbes s’entrainent 2 fois par jour et que les entraineurs sont des dictateurs, etc… c’est faux. Jusqu’à 15ans ils s’entrainent 1h30 par jour du lundi au vendredi dès 10ans. Ils jouent des matches officiels ou non un week-end sur 2 ou 3. Les entraineurs varient leur manière d’êtr et alternent souvent la rigidité et les félicitations. Pour une engueulade, ils vont donner 2 encouragements derrière. Après oui, ils ont beaucoup d’enfants mais ils ont trop tendance à travailler avec les meilleurs potentiels (5/6 sur 25). Chose qu’on ne peut pas faire en France et qui ne me parait pas juste si les autres enfants s’investissent. Mais presque tout est adaptable en France. Nous avons un gros potentiel.
Ton retour à Mulhouse a fait beaucoup de bien au club. Depuis ton arrivée, le club est remonté en N1, et vous obtenez de très bons résultats chez les jeunes. Qu’est-ce qui a été mis en place au sein du club pour avoir de si bons résultats en peu de temps ?
Effectivement depuis 1an et demie que je suis là, les objectifs visés sont atteints un peu dans tous les domaines mais ce n’est pas que le fruit de mon travail. Cela est dû à une équipe dirigeante dynamique et ambitieuse et au travail des entraineurs jeunes dans le passé. Le club a réussi avant tout à faire venir beaucoup d’enfants et ils ont obtenu des créneaux d’entrainements satisfaisants auprès de la ville. A mon arrivée, j’ai essayé de faire en sorte que nous ayons une école de polo plus forte en demandant aux entraineurs jeunes de suivre mon plan pour chaque catégorie. En équipe senior, j’ai trouvé un noyau de joueurs plutôt jeunes qui aiment s’entrainer et qui parviennent à venir 5 fois par semaine malgré leurs différentes contraintes perso. Le fait que le club ait accepté d’investir dans 2 joueurs étrangers et la présence de joueurs d’expérience comme Romain Poirée et Nicolas Estebe nous font du bien pour évoluer en Nationale 1.
Après, mon temps plein a permis de mieux mettre en place certaines choses comme des classes à horaires aménagés collège et lycée, du temps périscolaire water-polo pour certaines primaires de la ville, etc… Pour le reste, il n’y a pas de secret : il faut travailler.
Quels sont les objectifs à moyen et long terme pour le club ?
Les objectifs sont toujours d’avoir une école de polo forte pour rester dans le top 8 voir top 6 français dans toutes les catégories de jeunes. Pour les seniors, l’argent reste le plus gros problème et les subventions tardent souvent à arriver et sont quelques fois en dessous de ce qui était annoncé. Nous allons essayer de nous maintenir cette année en visant la 7ème/8ème place. Pour l’an prochain nous aimerions encore rester dans cette optique mais tout dépendra des décisions personnelles des joueurs et des budgets disponibles pour faire venir d’éventuels nouveaux joueurs. 4 jeunes de l’équipe seniors s’en vont faire leurs études ailleurs et 2/3 « anciens » veulent ralentir les entrainements pour raisons perso ou professionnelles. Donc on va gérer.
À titre individuel, tu as intégré le staff des Équipes nationales jeune il y a 2 ans (?), et depuis peu l’équipe de France A. Comment en es-tu arrivé là ? Quel est ton rôle au sein de la Fédération Française de Natation ?
Tout a commencé en 2013 avec la génération 96 qui était alors U17. On m’a proposé le poste avec Marc Amardeilh (CNM) et j’ai tout de suite accepté cette aventure. L’année suivante j’ai accompagné Florian Bruzzo avec les 95 (U19), puis les 98 (U17) avec Samuel Nardon. A chaque fois que je rejoignais ce groupe des meilleurs jeunes français, quelque chose me frappait, la plupart n’avait pas les bases techniques nécessaires et le niveau physique requis pour le haut niveau de leurs catégories. J’en ai alors parlé au DTN.
Julien Issoulie m’a ainsi demandé de m’occuper de la génération 2000 avec 2ans d’avance sur leur 1ere échéance officielle. Malgré les budgets restreints, nous avons réussi à mettre en place ce projet. Mon objectif était d’organiser des tests sur les positions de base et sur les situations défensives simples à connaitre. J’ai également mis en place des tests physiques en natation avec un objectif pour chaque année. Le projet était avant tout de recenser le niveau des jeunes, de leur faire prendre conscience du retard qu’ils ont et de se confronter aux meilleures nations. Malheureusement, certains jeunes n’ont pas joué le jeu et ont préféré aller en vacances plutôt que de partir en stage avec l’équipe de France. Pour les autres, les résultats ont montré que trop peu avaient les qualités du haut niveau de leur âge, mais le potentiel est là.
A la demande de Julien Issoulie, Hrvoje Hrestak était venu m’épauler, il y a 2 ans, lors du 1er regroupement des 2000 et nous avions bien discuté sur la manière d’entrainer et notre relation était bonne. Lorsqu’il a été nommé entraineur des A, en octobre, il m’a demandé si je voulais bien être son assistant. J’ai tout de suite accepté de travailler avec lui et d’apporter mon expérience auprès de ce groupe plutôt jeune.
Quels sont tes objectifs personnels dans le water-polo ?
Même si j’ai envie d’entrainer à haut niveau, je n’ai pas d’objectif proprement dit dans le water polo. J’essaye juste de faire de mon mieux quel que soit le projet et d’aller le plus loin possible. Je pense que se donner un objectif c’est parfois se mettre des barrières. On se fait des étapes dans sa tête et le jour où on y arrive, on a plus les ressources pour aller plus loin. Il y a des équipes qui travaillent dur pour atteindre un but mais une fois atteint, ils ne sont pas prêts à aller plus loin. Martin Fourcade vient de terminer une saison extraordinaire de victoires en coupe du monde et il a dit : « Si je refaisais la même performance l’année prochaine, j’aurais régressé ».
Question vachement con : « quel joueur aimerais-tu faire signer à Mulhouse ? »
Les joueurs que j’admirais ont arrêtés : Vladimir Vujasinovic, Nikola Janovic. Alors pour faire un clin d’œil à un « ancien » français qui a bien réussi et qui n’arrête pas de progresser je dirais : Michael Bodegas….