Rencontre avec Cyril Dorgigné, directeur général du Water-Polo d’une province Canadienne

Interview de Cyril Dorgigné

A 41 ans, Cyril Dorgigné est aujourd’hui bien loin de l’hexagone puisqu’il est devenu Directeur Général de Water-Polo de Saskatchewan, une province au Canada. Formé à Nice, il a joué plusieurs saisons en élite avec son club formateur, avec qui il a remporté cinq titres de champion de France (1995, 1997, 1998, 1999 et 2002) ainsi qu’à Montpellier où il prendra une médaille de bronze en 2001. Il a également évolué, en fin de carrière, en Nationale 1, au club de Choisy-le-Roi, avec qui il a frôlé la montée en 2005. Dans les jeunes catégories, il a intégré l’équipe nationale et l’équipe de France Universitaire.

Voilà 13 ans qu’il a donc quitté la France, mais continue à suivre l’actualité.

Il a accepté de répondre à nos quelques questions et nous en dit plus sur l’organisation du Water-Polo canadien.

France Water-Polo : Voilà 13 ans que tu as quitté la France pour le Canada et que tu y aides au développement du Water-polo. Est ce que tu peux nous parler de ton poste et tes missions ?

Cyril Dorgigné : Je suis arrivé en Septembre 2007 comme entraineur chef de la province de la Saskatchewan, dans le mid’Ouest canadien. Mon rôle était de réorganiser tout le waterpolo depuis le recrutement dans les clubs jusqu’au haut niveau national, en passant aussi par le développement du nombre d’adhérents récréatifs. J’avais la main sur le développement des programmes de compétition provinciaux, d’entrainement des clubs et de l’équipe provinciale, de développement des coach et aussi officiels, bref sur toute l’opération technique. Il y avait aussi le couperet du ministère des sports provinciaux qui menaçait de réduire ou supprimer nos subventions. Un peu de pression mais en même temps on partait de tellement loin que s’améliorer n’était pas trop difficile.

FWP : Comment s’organise le championnat de Canada ?

CD : Au Canada les championnats importants sont les U16 et U19. On a aussi les U14 et U12 mais ces catégories s’organisent plus au niveau provincial que national, et le championnat Senior est beaucoup moins important dans les mentalités avec une saison très courte de Janvier à Mars.
Donc les U16 et U19 sont les deux réelles ligues, qui se jouent de Novembre à Mai. On a 2 conférences, celle de l’Est (Ontario + Quebec) et celle de l’Ouest (4 provinces du Manitoba à la Colombie Britannique). On a une saison régulière, un « cross’over » Est/Ouest en Février, les finales de l’Ouest et de l’Est en avril puis les finales Nationales en Mai pour lesquelles seules les deux meilleures équipes de chaque conférence se qualifient.

Les ligues féminines et masculines sont à peu près équivalentes en nombre d’équipes engagées.

Les 2 ligues phares vont changer cette année pour devenir les U17 et les Seniors. Le Water-Polo Canadien a finalement décidé de pousser cette dynamique pour les U19 vers le championnat Senior afin de garder nos joueurs qui arrêtent pour la plupart le Water-Polo à 18/19 ans. Malheureusement le Covid19 va tout retarder.

Il faut savoir que les joueurs ou plutôt les parents payent tout ici : voyage, hôtel, repas, engagement des équipes et coûts des entraineurs… Et vu la taille du pays tu peux imaginer que ça leur coute beaucoup d’argent.

FWP : Beaucoup d’internationaux évoluent en Europe. Le plus connu en France est Nicolas Constantin Bicari qui a joué plusieurs saisons à Marseille mais il y en a d’autres comme Jérémie Blanchard ou Mark Spooner qui sont à Douai. Pourquoi cet exil en Europe ?

CD : Comme je l’ai mentionné il n’y a pas de réelle opportunité au Canada pour jouer en Senior, trois mois de ligue c’est vraiment pas assez. Le niveau non plus n’est pas assez haut pour que les internationaux se développent. Donc jusqu’à présent, quand les jeunes ont fini leur lycée, ils vont au centre national a Montréal (pour les meilleurs d’entre eux… et pour ceux qui veulent parce que beaucoup de joueurs excellents n’y vont pas), où ils s’entrainent dans des conditions optimales pendant 1, 2 ou 3 ans, puis ils cherchent à aller jouer en Europe. L’année dernière il y avait six ou sept garçons en Europe et deux ou trois en NCAA (Ligue Universitaire aux USA).

Chez les filles elles vont pour la plupart en NCAA (il y a plus de 60 canadiennes aux USA chaque année qui jouent la NCAA) puis en Europe (elles étaient huit l’année dernière). Et entre les deux elles vont à Montréal au centre national d’entrainement.

Ancien joueur de Marseille, Nicolas Constantin Bicari évolue à Ferencvaros (Crédits Photo : Diane Bekhazi/Water-polo Canada )

FWP : Au vu de ces contraintes, comment expliques-tu que l’équipe nationale du Canada soit à un niveau similaire à celui de la France ?

CD : Au niveau féminin c’est simple : en France il n’y a pas assez de joueuses et trop peu de clubs investissent dans les filles. C’est vraiment dommage parce que le Water-Polo féminin est tout autant attractif que le masculin, il suffit d’aller voir des match NCAA pour s’en rendre vite compte.

Au niveau masculin franchement j’ai du mal à comprendre. Vu le nombre de joueurs en France, le nombre de clubs et d’équipes dans toutes les divisions, mais aussi la qualité structurale de la ligue Elite et de ses clubs, le Canada devrait être loin derrière, comme bien d’autres pays d’ailleurs qui sont en avance sur la France avec bien moins de potentiel.
Le niveau des jeunes est difficilement comparable entre les deux pays parce que la France ne se qualifie que très rarement au Championnat du monde U18 et U20, le Canada y va mais pour se qualifier c’est beaucoup plus simple au championnat Panamercain qu’aux championnat d’Europe. Par contre le Canada se classe régulièrement dans le top 10 mondial. Peut-être que les clubs dans leur totalité au canada travaillent mieux et plus dur chez les jeunes qu’en France où seulement quelques clubs font du bon boulot. Du coup vous ne profitez pas de votre grand nombre de pratiquants pour développer les pépites qui se trouvent en dehors des quelques grand clubs formateurs.

Plus tard chez les Seniors les joueurs canadiens qui sont sélectionnés et qui vont au centre national d’entrainement y travaillent énormément, ils s’entrainent comme des malades. Les canadiens sont pour la plupart résilients et de très gros bosseurs, du coup ils sont très costauds physiquement.
Finalement la fédération investit beaucoup d’argent dans la préparation de l’équipe senior. Ils vivent ensemble de Mai (dès que leur saison en club est terminée) à Août tous les ans pour préparer leurs étés. La structure est très professionnelle, ils ont d’excellents supports médicaux, scientifiques, psychologiques et informatiques. Je ne suis pas sûr qu’en France les joueurs vivent ensemble, dès que leur saison en club est finie, pendant autant de temps, chaque année. Finalement ils ont un coach de top niveau mondial : Pino Porzio. Du coup et en dépit de leur absence de Water-Polo domestique au niveau senior, ils arrivent tous les ans à décrocher une ou deux grosse performances à la Ligue mondiale, au championnat du monde ou autre, en accrochant ou battant des équipes du top 6 mondial…

Pino Porzio (Crédits Photo : Pro Recco)

FWP : Lors du dernier match du Pays d’Aix, on a pu voir trois canadiens sur la feuille de match. Y es-tu pour quelque chose dans leur venue ?

CD : Oui un peu. Reuel D’Souza m’a appelé parce qu’il recherchait un club. J’ai tout de suite pensé à Aix. Je connais Alexandre Donimoni depuis qu’on est gamins, quand on était adversaires, lui au Cercle et moi à Nice, et on se parle régulièrement. Je suis impressionné par le travail qu’il a accompli a Aix. Quand je suis parti de France, Aix était en Nationale 1, n’avait pas d’équipe de jeunes, pas de publique, bref un petit club. 13 ans plus tard les voilà qui jouent la Champions League et le titre tous les ans, ils gagnent ou presque dans toutes les catégories de jeunes, ont entre 800 et 1000 personnes dans les tribunes tous les samedis… C’est un grand club, Bravo!

Reuel est un très bon joueur du club de Vancouver Pacific Storm. Je le connais depuis qu’il a 12 ans, il est très talentueux. Alex le suivait déjà et la connexion entre eux a été tout de suite très bonne. Puis Alex cherchait une pointe, et je lui ai parlé de Bogdan, un jeune joueur au très très gros potentiel qui vient du club d’Ottawa Titans. Il m’a fait confiance et je l’en remercie. Finalement Brody, c’est un jeune gardien de 19ans, encore plus jeune que Reuel (21 ans) et Bogdan (20 ans), et qui vient de mon programme, Team Sask. Il vient aussi d’intégrer le groupe Senior de l’équipe nationale. Il va apprendre énormément auprès d’Alex et de l’équipe.

Reuel D’Souza et Bogdan Djerkovic sont des joueurs NCAA et ils ont obtenu un accord grâce au lock down du championnat universitaire dû au Covid.

FWP : Quelle vision ont les canadiens sur le Water-Polo français ?

CD : Excellente ! Quand je les ai contacté ils ont tout de suite été emballés à l’idée de jouer en France. Ils sont au courant de tous les gros transferts de cette année et que le niveau de l’élite est devenu l’un des meilleurs en Europe. Et puis jouer à Aix c’est aussi jouer l’Eurocup, c’est une énorme opportunité pour eux.

Reuel D’Souza est l’un des trois joueurs canadien qui vient d’arriver au Pays d’Aix (Crédits Photo : olympic.ca)

Actualités 13 octobre 2020