Quel avenir pour le Water-polo français ?

Face au contexte actuel que nous subissons tous, le monde du sport n’échappe pas aux conséquences économiques que cette crise sanitaire engendre. Bien évidemment le monde du Water-polo n’est pas épargné. Si celui-ci était jusque-là en plein développement, il semblerait que nous soyons à l’aube d’une période difficile pour l’ensemble des acteurs du milieu. Que ce soit la Fédération Française de Natation, les clubs professionnels et les petits clubs amateurs, la planète Water-polo s’apprête à serrer les dents, conséquence d’une crise économique annoncée comme sans précédent.

Nous avons tenté de faire un point sur la situation, au travers des visions de deux acteurs incontournables du Water-polo français (entre autres bien évidemment) : Julie Eissen, Présidente du CN Noisy-le-Sec et Alexandre Donsimoni, entraineur principal du Pays d’Aix Natation.

Les deux protagonistes sont unanimes, « le sport et le water-polo paraissent secondaires » face à l’ampleur et la gravité d’une telle situation mais ils ne peuvent aussi s’empêcher de penser aux conséquences que celle-ci a et va avoir sur leurs clubs.

Crédit photo – CN Noisy-le-Sec

Tout un écosystème à l’arrêt

« Nous avons tellement travaillé et investi tant d’énergie depuis plusieurs années pour développer le club, monter en puissance, nous structurer et nous professionnaliser. Nous avions tellement de projets à engager à court terme dans la formation des jeunes, les stages à l’étranger, le développement du partenariat, les déplacements à venir avec le club des partenaires… Le mois d’avril était la dernière ligne droite du championnat Elite avec une qualification en play-off pour jouer les phases finales et espérer intégrer la coupe d’Europe à la rentrée. C’est toute une dynamique de club avec ses salariés, ses bénévoles, ses joueurs professionnels ou non, ses jeunes en apprentissage, leurs parents qui nous soutiennent au quotidien… qui a été stoppée nette le 13 mars au soir.

A cet instant, nous sommes devant un immense vide : piscine fermée, 900 adhérents confinés chez eux, salariés au chômage, isolement social, aucune vision à court et moyen terme puisque nous ne savons pas du tout quand les piscines ouvriront. Je n’aurais jamais imaginé vivre ça un jour et je le vis à double titre avec mon entreprise, » nous confie Julie Eissen.

L’arrêt total des activités n’impacte pas seulement la partie haut-niveau des clubs, c’est tout un écosystème qui est à l’arrêt, notamment ses finalités sociales et sanitaires.

« Les associations ont des missions de santé, de bien-être et de vie en société par la pratique d’activités sportives et de communauté où toutes les classes sociales se retrouvent dans des règles communes et de partages. Le sport de haut niveau n’est qu’une vitrine, un spectacle, un biais motivationnel pour les jeunes. Il ne représente qu’une partie infime d’un club. Quand les associations sont à l’arrêt c’est un pan de vie qui s’arrête (sans mauvais jeu de mots) », constate Alexandre Donsimoni.

Crédit photo – Sylvain Sauvage

Aucune visibilité encore à ce jour pour les clubs

Si l’intervention du Président de la République Emmanuel Macron a donné la tendance et les orientations du déconfinement le 11 mai prochain, le monde sportif n’a quant à lui aucune information sur sa reprise, qu’elle soit progressive ou non. Alors que les activités des clubs sont à l’arrêt depuis maintenant presque deux mois, personne ne sait quand celles-ci vont pouvoir reprendre, et à quel degré. Outre les différents projets de développement menés par les clubs, cet arrêt total d’activités a forcément un impact économique sur des clubs déjà à flux tendus en temps normal.

« Nous avons bien entendu mis nos salariés au chômage partiel compte tenu de l’impossibilité d’exercer notre activité. Nous avons sollicité les remboursements des déplacements réservés sur avril.

Nous allons prendre contact avec nos partenaires dans quelques semaines pour prendre un peu la température et préparer budgétairement les recettes de la saison prochaine mais la démarche reste sensible au regard du contexte général.

Nous allons réaliser une pré-clôture budgétaire par anticipation (la clôture étant à fin août) afin de disposer d’une vision plus fine sur notre solde d’activité 2019-2020 et nos capacités financières pour redémarrer, » explique Julie Eissen.

Des stratégies de développement complètement remises en question

Un redémarrage qui soulève de nombreuses questions, notamment celles des stratégies de développement des clubs qui est totalement remise en question.

« Le Water-polo est un petit sport, ce qui n’empêche pas les grandes passions. Après le confinement les gens vont davantage reprendre des activités sportives et vont vouloir aussi se changer les idées. Économiquement on va souffrir, je pense qu’un nouveau modèle doit se construire, plus pragmatique, plus juste, plus cohérent. Aussi bien pour notre sport que pour l’ensemble du sport de haut niveau, » commente le technicien aixois peu optimiste sur l’après crise. Il poursuit :

« Certains clubs ces dernières saisons avaient changé leurs modèles économiques pour moins dépendre des subventions institutionnelles. Ces subventions vont continuer à baisser de façon drastiques. Mais la crise économique qui s’annonce va mettre pas mal le mécénat et le sponsoring sur la paille et donc impacter les clubs. Il va s’en accompagner une hausse des cotisations clubs. Quand tu payes 300 euros tu ne valides même pas le fonctionnement d’un entraîneur au quotidien, au premier déplacement réel tu dépends déjà des apports publics et privés. C’est une réalité pas assez ancrée dans les mentalités. Le monde du Water-polo français va subir une vraie révolution ».

Une vision peu positive du futur de notre sport que partage Julie Eissen : « Nous ne pouvons pas nous projeter et nous n’avons aucune idée du monde de demain, qui sera nécessairement différent de celui d’hier. On ne peut pas confiner la moitié de l’humanité sans que cela impacte sur notre futur.

Donc nécessairement, notre stratégie de développement est remise en question. Pas tant dans les axes que nous avions identifiés mais plutôt dans la cinétique envisagée. Je dirais qu’avant la pandémie nous avions un panel d’actions dont la temporalité de réalisation était liée à des composantes dont nous connaissions à quelques mois près les possibilités de mise en œuvre. Désormais, nous avons nos mêmes actions mais tout est figé dans l’attente d’une reprise dont nous ne maitriserons plus la temporalité de réalisation car les composantes vont être à même de changer en lien avec la crise économique qui va arriver et dont nous ne connaissons ni l’ampleur ni la durée. Cela fait beaucoup d’incertitudes pour un dirigeant. »

Mais la Présidente du CNN voit déjà quelques angles d’attaque pour mener le combat :

« A mon sens, il va falloir changer d’angle de gestion en anticipant tout ce qui est possible et accepter un niveau d’incertitude plus important pour le reste. Compte tenu du fait que nous avons un horizon très proche, nous devons être plus souples, faire preuve d’adaptation et prioriser nos actions.

La question de l’optimisation des dépenses, par exemple par l’anticipation des déplacements pour l’ensemble des championnats adultes et jeunes, est un point clef sur lequel nous devrons être très vigilants car c’est un des axes de dépense important pour les clubs sur lequel nous pouvons faire de réelles économies.

Nous allons sans doute devoir gérer notre stratégie de saison avec deux modules liés à nos capacités financières : ce qui est certain et ce qui est possible. Le suivi budgétaire va devoir être plus stricte et évolutif en fonction des garanties de recettes que nous avons.

Fort heureusement, je n’imagine pas à court terme de désengagement de nos partenaires institutionnels, ce qui nous permettra d’aborder la rentrée 2020 avec une certaine sérénité de ce côté. »

Si c’est tout un fonctionnement sociétal qui semble être remis en question au travers de cette terrible crise, celle-ci aura également un impact sur la pratique sportive en général, mais aussi et surtout sur le haut-niveau. Alexandre Donsimoni a son avis là-dessus :

« Les gens vont être plus au fait de leur santé et vont avoir besoin de se défouler. On va savourer avec plus de conscience la vie en général qu’elle soit associative, amicale ou familiale. Même si on a tendance à vite reprendre nos mauvais travers.

On verra donc beaucoup de monde comme en Janvier lors des bonnes résolutions. Pour ce qui est du sport de haut niveau on a construit une sorte de lutte des classes dans les sports sans appliquer le principe de ruissellement qu’on veut voir transpirer dans la société. Les grands sports ont une mission envers les plus petits. Il faut revenir au sens premier de notre utilité, de ce que l’on représente. Il faut des Salary caps et un respect des budgets. Tous les excédents ne doivent pas créer une inflation mais un ruissellement pour le sport en général. Ça permettra aussi de garder les pieds sur terre. »

Crédit photo – WP Inside

Et après tout ça ?

Le monde sportif en est loin d’avoir fini avec les conséquences et les retombées négatives que ce virus aura engendré. Mais après la crise, comment la planète polo va-t-elle pouvoir rebondir ? On a justement posé la question à Julie Eissen :

« Complexe et incertain. Le milieu de la finance annonce une récession voire une dépression mondiale. Une augmentation de 25 % des faillites d’entreprise dans les mois prochains à l’échelle mondiale. En France, on parle de 15 % de faillites soit 58 000 entreprises (en 2009, on avait eu 63 000 faillites). Et c’est une photo à début avril donc encore relativement floue.

Il devrait y avoir une vraie réflexion sur la relocalisation de la production et le développement de circuits courts afin de travailler sur la croissance par la valeur. Cela s’inscrirait également dans la dynamique plus vertueuse de la maitrise de nos consommations énergétiques.

Ça c’est la théorie. Et si la course aux profits court-termistes tirait des leçons de ce qui vient de se passer, et qui peut raisonnablement se reproduire, il n’en demeure pas moins que cela va demander du temps.

A cela, on ne peut pas occulter la montée des nationalismes, la puissance révélée de l’Etat-nation qui vient directement poser la question du devenir de l’Europe et la réorganisation des équilibres économiques mondiaux.

Alors nous dans tout ça ? Notre modèle économique est très simple et repose sur 3 composantes : adhérents, collectivités, partenaires. Et ce, dans des proportions différentes pour chaque club, ce qui n’entraine pas nécessairement les mêmes conséquences.

Quand tout va bien, les gens ont du travail et un peu d’argent. Ils font du sport et des loisirs. Les collectivités ont des administrés qui travaillent ce qui leur permet de fixer un certain niveau d’imposition et bénéficient des aides de l’état au travers de la DGF (Dotation Globale de Fonctionnement). Elles peuvent aider les associations dans leurs actions et nous donner des subventions. Les entreprises ont de l’activité, se développent et font du profit : elles sont à l’écoute des projets sportifs et sociétaux que nous portons au travers de nos activités et ont envie de communiquer positivement ou tout simplement de nous aider, ce qu’elles peuvent faire notamment au travers des outils de défiscalisation.

Dès lors que nous sommes dans une situation de tension sanitaire, sociale et économique, tout le modèle s’effondre : une baisse possible du nombre d’adhérents, une réaffectation des subventions sur le volet social au détriment des associations sportives, des entreprises qui essaient de survivre et ne sont pas du tout à l’écoute de nos actions.

La diminution des recettes de chacune de ces 3 composantes ne va pas se traduire de la même façon pour tous les clubs car nous avons des business-models différents. Ceci étant, on pressent tout de même une diminution des capacités budgétaires. Le point sur lequel il faut être vigilant c’est la temporalité de cette baisse car nous risquons d’avoir un premier palier sur l’exercice 2020-2021 et un second peut être plus accentué sur la saison 2021-2022 si ce que les économistes annoncent se produit.

Dans ce contexte, et afin de mieux comprendre ce qui peut se passer dans notre sphère Elite, j’ai été justement chargée par le Président de la commission Water-Polo, Benjamin MERCIER, de me rapprocher de mes homologues présidents pour appréhender les tendances au niveau des différentes structures.

J’évoque nécessairement l’Elite car nous sommes en train de parler de budgets conséquents qui sont dédiés à un sport professionnel et à la formation de nos jeunes mais on ne peut pas occulter la situation de l’ensemble des clubs qui composent notre discipline poloïstique. Suite à l’état des lieux que nous avons fait en Ile de France, il ressort que les clubs de divisions nationales et régionales ont principalement des business-models à 2 composantes (cotisations et subventions), ce qui, je l’espère, va limiter les dommages collatéraux. Mais compte tenu des budgets plus faibles, les baisses peuvent avoir des conséquences plus importantes.

Pour conclure, j’avoue que je suis personnellement frustrée de voir cette pandémie arriver à cet instant même s’il n’y aurait jamais de bon moment bien évidemment. Mais, nous avons engagé depuis 2 ans un gros travail sur le développement et la structuration du water-polo au niveau fédéral. Sous l’impulsion de Benjamin Mercier, nous avons pour consigne au niveau de la commission fédérale de décliner de façon opérationnelle les grandes orientations qui se sont dégagées de l’état des lieux réalisé notamment au travers de la valorisation des joueurs français, la structuration de la formation jeune dans les clubs, la refonte des championnats jeunes pour améliorer le niveau de performance, la formation des entraineurs et tant d’autres sujets passionnants. J’espère que ce travail pourra être mis en œuvre malgré la situation et que nous saurons nous donner les moyens, au niveau des clubs, de poursuivre ce qui a été initié car c’est primordial pour le développement de notre sport sur le long terme. »

Il est évident que tous les éléments donnés dans cet article apparaissent comme secondaires face l’ampleur de cette catastrophe sanitaire et le nombre de morts que nous pouvons déplorer aux quatre coins du monde.

Cependant, les passionnés de Water-polo que nous sommes, tout comme vous, avons eu envie de de faire le point sur les répercussions que ce virus a et aura sur le monde du Water-polo.

Merci à Julie Eissen et Alexandre Donsimoni pour leur contribution et leur temps.

En espérant que vos proches et vous alliez bien.

Crédit photo en tête d’article – Sylvain Sauvage 

Actualités 28 avril 2020